A lire extraits du recueil : "Les rêves de la méduse"
"Les rêves de la Méduse" a obtenu le prix de la Baie en Poésie en 2010 :
Les ombres ne s’effacent plus
Elles se cachent sous une pierre
Une vague un instant de silence
Puis elles s’avancent à la proue
Où les embruns font un bruit
De feuilles mortes
Là-bas, au-dessus de leurs contours qui rayonnent, j’aperçois une ile inaccessible où le langage n’a pas encore posé le pied.
Il n’y a pas de voix, seulement quelques cris
Je soulève le drap de l’écume brodée :
un visage esquissé avec la craie des nuages
Dans la chambre close de tes yeux, les lumières se sont éteintes
Et de ta bouche silencieuse, pleine de souvenirs, de ta bouche prise dans l’étreinte du temps
une barque abandonnée qui se balance sur la mer, qui dérive en l’absence de poids
Les yeux peints sur la figure de proue et les mains jointes en étrave
Je suis rentré au port après avoir dormi en haute mer, après les vagues de velours et les arêtes de fer. Un pied au sol j’ai fermé les yeux : les galets flottent au ciel, les voiles grelotent dans mes artères.
Un cri, la mouette me montre un éclair qui a surgi au sommet de la falaise.
Ce matin tu fais la morte, pâle, ensommeillé, jouant à perdre les reflets du ciel, après avoir donné tant de vies.
Les voiliers n’ont plus d’ardeur, les apôtres noyés ne dansent plus. Comment prendre de l’erre sur cette mer affalée ? Quel affolement en quête d’un autre mat qui déchirera le voile œcuménique ? Quelle fumée blanche sortant d’une eau croupie, mauve et nauséabonde ? Quelle voix d’eau qui débordera les digues idéales ?
Es-tu encore là
pauvre poésie aux vêtements déchirés
qui n'est plus que rythmée en état d'aphasie
Marin échoué après un naufrage
qui a perdu son beau visage au fond de l'eau
et qui cherche ses mots la bouche dans le sable
Mer cette lumière dans son esprit
Mer aussi sa terre qui gémit
Mer toujours mère de toutes les vies
L’embellie est-elle cet enfant qui garde les étoiles de mer ?
Cette fille vêtue d’algues qui cherche un bijou, ce garçon armé d’une épée qui court après son ombre ?
La main de l’enfant s’est ouverte, ses doigts s’agitent comme un bernard-l’hermite, sa solitude bavarde avec les ridules et son regard s’envole sur le dos d’un goéland.
Dans ces petites mains nues un cœur bat, si vite et si légèrement qu’un cil en est l'unique maitre.
J'entends sous la vague le temps qui s'est caché, ce temps toujours vainqueur, qui nous pousse à l'errance au détour d'une barque éventrée.
A la proue il n'y a que rumeurs, d'où parfois une syllabe inarticulée s'échappe à la recherche d'un mot.
A la poupe les cheveux d'étoupe s'effilochent, défaisant leurs nœuds pour se taire
L'enfant qui, de la plage, jetait des nuages le plus loin possible, s'est levé à l'appel de sa mère.
Il pense sur le chemin caillouteux que ce dériveur endormi sera sa maison jusqu’à la fin de sa vie.
Il rêve qu'il naviguera où les eaux douces et salées se rencontrent, au large de l'ile Vierge que le phare d'Ar-men domine tel un cierge noir, amen de pierre un genou en mer
Vêtu de papier et de voiles, quand le vent adonnera au jusant, quand le berceau désassemblé gira au fond du port, chaussé de métal et de mots, la bouche pleine de galets, je partirai avec un bouquet d’amures dans les bras
Je quitterai enfin l'odeur des bateaux rouillés pour mouiller dans des criques lavandées
Je regarde une dernière fois
ce que je fus
ces fleurs de pierre que je n'avais pas vu
étales sur le rivage
déchiquetées par les vagues
Sous le sable les rires étouffés des enfants se rapprochent ; les voiliers bâchés, qui ne savent plus s’ils sont une barque qu'on va abattre ou quelques planches d’espoir, tendent leurs dos et tanguent comme des idiots.
J’aveugle les voies d'eau, en les remplissant de souvenirs
je creuse des trous dans le sable pour que le temps s'y repose
Le soleil m'attend au bout de la jetée, je m'approche des flammes qui déchirent l'étoffe, je mets une main dans ce feu qui paraît bruler dans un autre monde
Les vagues et les sillons dessinent un personnage blanchâtre, les bras écartés de chaque côté de la proue, le corps le long de la coque, et les jambes tendues derrière la poupe : l'imagination a quitté le transept
Quelle flèche vais-je prendre
dans le carquois où les bateaux
chancellent au bord de l'effroi ?
Je tiens fermement ta main d’eau
Je sens ta respiration qui me soulève
J’entends ton cœur qui rêve
La chaine de l'ancre cogne sur la coque
Le son régulier d'un rouge profond
donne le rythme aux ombres
qui creusent l’écume
Je choquerai l’écoute
En brisant l’équerre du vent
en défaisant tes nœuds de lumière
Au point d’amure de ton œil épissé
Au sommet de la vague un nid d’orties
Dont les fleurs blanchâtres auront écloses
Au taquet les désirs
avant qu’ils ne ramollissent !
Au palan les pensées !
Par-dessus bord les poupées à manivelle
et les religions les plus belles
même si le bateau fait chapelle !
Dans la cabine, je n'ai pas de miroir, aucune surface qui puisse donner une image déformante, aucun mire-œuf pour m'étonner, aucun point qui miraille le paysage, aucune imago, aucun speculum, aucun espoir qui fusse une arme absolue.
J'ai vomi les mots qui faisaient un nœud coulant dans ma gorge, en empêchant les désirs de passer, ces mots qui reflétaient le monde tel que les hommes ont voulu le voir, et non pas tel qu'il est.
Au loin, cette ile à naitre sera-t-elle faite de nuit pure ou de vert limon qui affleure déjà au bout de ma langue ? De cette mangue juteuse qui coule entre mes doigts ou du démon bleu qui pleure dans mes yeux ?
Je remonte le cours des eaux, je confronte la montagne corallienne à la fragilité de mes os, je nage jusqu’aux matières stellaires
Les masques d’ambre, rehaussés d’écailles, abandonnés à la surface, me regardent de leurs yeux exorbités qui disent plus que tout discours emprunté :
« Es-tu pris par l’ivresse des profondeurs ?
Es-tu celui qui ne respire plus se croyant libre ?
Es-tu la chair débile ?
Un embryon qui jubile
Qui prend l’eau amniotique pour les cieux ? »
Et mon coeur effronté :
« Je serai à toi
Quand le sable aura rempli
le coquillage de mes yeux ! »
Je prends la barque plate qui repose sur le ventre, et je rame maintenant dans une eau boueuse, clairsemée de souvenirs fossilisés
Sur la langue de sable brille une musique transparente, lignes qui ondulent et orientent l’étrave chimérique
Maintenant j’ai soif de tout, je bois la sève des cailloux, j’aspire la moelle des nuages, je lèche les paupières des hublots, je vide les larmiers
Soudain, au sortir de l’estuaire, la proue se cabre presque verticale : mon corps va-t-il se brisé ? Rompu en son milieu ?
Tous les fleuves en cru se sont réunis sous l’étrave !
Je prends le fil de l’horizon entre mes doigts :
Voilà l’infini à hauteur d’homme !
Soudain tout est présence !
Fini les bouquets d’idées qu’on ne peut tenir
fini l’ennui des paroles infinies
fini l’intelligence qui étourdit
Pendant trois jours la nausée obsède le cerveau